Breveter ou ne pas breveter une invention, telle est la question

décembre 19th, 2014
Breveter ou ne pas breveter une invention, telle est la question

En 2010, Christian Estrosi[1] se gargarisait du guide[2] du CNAC[3] sur les enjeux de la protection des innovations et de la défense de la propriété intellectuelle afin de lutter contre la contrefaçon. Selon ses propos y figurant en préambule, « la lutte contre la contrefaçon passe en particulier par la protection en amont des innovations grâce à des outils de la propriété intellectuelle. Plus les entreprises auront le réflexe de protéger leurs innovations dès le stade de leur conception, plus le risque de pillage par la contrefaçon sera limité et plus les auteurs de ces délits seront exposés à des condamnations. »

Or, en matière de protection et de défense des inventeurs indépendants, entrepreneurs et PME, la réalité en est toute autre. Intenter une action en contrefaçon contre une multinationale et son arsenal d’avocats chevronnés s’avère être un combat en longueur et à l’usure, de celle du portefeuille limité des petits porteurs bien plus que des arguments avancés par les parties prenantes. Ainsi, et au regard des coûts supposés en rédaction, dépôt et maintien des brevets, inventeurs indépendants, entrepreneurs et PME viennent tout naturellement à se demander si cela vaut vraiment le coup de breveter une invention.

Dans un tel contexte de mondialisation et d’inégalité des moyens de protection et de défense, il est tout à fait légitime d’appréhender la contrefaçon, autant que de remettre en question l’intérêt du brevet qui, de surcroît, ne garantit ni la commercialisation d’un produit, ni son succès économique. La demande doit être rédigée de la façon la plus claire, spécifique et complète, préférablement par un tiers expert. Cette démarche amène alors à révéler le secret qui pourrait pourtant, dans des cas bien spécifiques, conférer à l’inventeur un avantage concurrentiel durant bien plus longtemps[4]. En effet, non seulement le brevet se limite à 20 ans de protection, mais son dépôt est publié au BOPI[5] au 18ème mois et donc, accessible par tous avant même d’être accordé. Rétrospectivement, et pour s’assurer une liberté d’action, révéler publiquement une invention permet d’empêcher quiconque de la breveter et d’acquérir ainsi un monopole d’exploitation sur un territoire donné, dans la mesure où la condition de nouveauté n’est plus remplie.

Sur ces entrefaites, quels sont les vrais intérêts de breveter une invention ? Afin de les élucider de façon concrète et pratique, prenons le cas d’un particulier ayant une idée de nouveau produit, sans disposer toutefois de budget pour porter son projet. Sa première démarche sera de ne révéler son idée en aucun cas et à quiconque, puis de se renseigner sur les différentes formes de protection disponibles, les procédés de design produit et les options de commercialisation qui s’offrent à lui, afin d’acquérir une vision d’ensemble des actions qu’il devra mener. Il fera ensuite examiner son projet gratuitement par des experts qui l’aideront à découvrir le potentiel commercial de son projet après avoir signé un accord de confidentialité en bonne et due forme.

Afin de définir au plus tôt l’originalité de son idée de produit (condition de brevetabilité) et de s’assurer qu’en le fabriquant, distribuant ou commercialisant, il n’enfreindra aucun brevet ou demande de brevet bénéficiant d’une date de priorité obtenue lors du dépôt, notre particulier fera appel à des experts pour conduire une recherche internationale d’antériorités pertinente, exhaustive et débouchant sur un rapport d’analyse complet. La grande majorité des demandes de brevet n’étant pas finalisées ou identifiables en tant que produits lancés sur le marché, elles ne peuvent donc pas se trouver par une simple recherche sur Internet. Cependant, toutes viendront affecter sans conteste la brevetabilité d’un produit ; c’est pourquoi il est essentiel de mener non seulement une recherche experte en France, mais également dans le monde entier.

Ayant précisé son idée grâce au rapport de recherche d’antériorités, il devra ensuite la développer, en étudiant les matériaux, les méthodes de fabrication, les fonctionnalités et la forme esthétique avant même de protéger son produit. Cette étape solutionnera les principales questions techniques et fait partie intégrante du développement de projet. Non seulement elle contribuera à affiner la propriété industrielle, à créer un mur impénétrable de protections via notamment le dépôt de dessins et modèles, mais également à gagner en crédibilité et à inspirer la confiance de tiers, que notre particulier envisage de concéder une licence, de démarrer sa propre activité ou de combiner ces deux options. A l’issue de cette étape, sans nécessairement avoir à prototyper, des supports de présentation photoréalistes et professionnels lui permettront – une fois le produit protégé – de convaincre investisseurs, licenciés ou fabricants requérant inévitablement d’un projet qu’il puisse répondre aux critères de brevetabilité et qu’il ait été développé en amont avant d’envisager tout investissement.

N.B. Notre particulier n’aura qu’une seule chance de les convaincre.

Ici se situe réellement l’intérêt du dépôt de brevet : il permet à tout particulier de négocier une concession de licence ou de faire fabriquer son produit tout en se protégeant du vol par l’apposition de la mention « brevet en attente », en sus d’avoir signé un accord de confidentialité et des autres outils de la Propriété Intellectuelle et stratégies de protection possibles. Bien que le brevet soit souvent perçu comme une opération coûteuse, il n’en est rien dans les faits :

  1. le brevet est un actif, c’est-à-dire qu’il s’inscrit en tant que patrimoine et non une charge. Il est donc indéniablement créateur de valeur.
  2. Dans le cas d’une concession de licence, il est généralement convenu que le licencié prenne en charge les annuités de brevet requises pour le maintien en vigueur, les brevets pouvant compléter le dépôt initial, ou encore les frais de procédures éventuelles de cas de contrefaçon subie ou infligée.

Au final, un dépôt de brevet ne coûte au particulier que 268€, lorsque choisir de ne pas se protéger offre l’opportunité aux concurrents de voler, fabriquer, distribuer et commercialiser une idée de nouveau produit sans conteste ni défense par le déploiement de moyens financiers, techniques et commerciaux types « rouleaux compresseurs » ; alors, pourquoi s’en priver ?

par Aline Kerneïs
Experte en Innovation Produit et Stratégie Go-to-Market

[1] Ex-ministre chargé de l’Industrie
[2] Contrefaçon : comment vous protéger (édition 2010)
[3] Comité National Anti-Contrefaçon
[4] C’est par exemple le cas de Coca-Cola qui a préféré conserver le secret de son procédé de fabrication plutôt que de le breveter.
[5] Bulletin Officiel de la Propriété Industrielle